“Bonjour Madame Choquette.”
Ça y est. Encore une fois, mégenré avant mon premier café. En anglais, on pourrait paraphraser l’expression et dire : “Another day, another ‘Madame’.”
Malgré mon changement de nom légal, que j'écrive mes pronoms au bas de mes courriels, que mon apparence soit plutôt masculine, ce sont bien souvent les premiers mots qui me sont adressés.
C’est épuisant. C’est douloureux. Ça me donne envie de crier, de pleurer, de rire aussi, parfois.
Hélas, le problème dépasse les individus, dépasse ces commis, ces baristas, ces personnes qui me mégenrent sans y penser. Iels ne le font généralement pas par malice, mais plutôt par ignorance, par conditionnement, par convention sociale. Parce que la société considère encore que mon corps doit entrer dans une des deux seules cases disponibles : masculin ou féminin.
Je me pose souvent les questions : qu’est-ce qui les encourage, les oblige à me catégoriser comme étant une “femme” sans se poser la question? Qu’est-ce qu’iels voient que je ne vois pas? Ou plutôt, qu’est-ce qu’iels ne voient pas?
Dans la vie de tous les jours, me faire mégenrer par des inconnu.e.s, passe encore. J’y suis habitué, il faut dire, et bien que ça ne fasse pas moins mal que la caissière chez Jean-Coutu m’appelle “madame”, c’est définitivement encore plus désespérant quand ce sont des gens qui connaissent mes pronoms et qui savent que je ne suis pas une femme.
C’est particulièrement drainant en milieu de travail, parce que ça me renvoie au visage cette difficile dualité : est-ce que c’est mon identité de genre qui est invisible, ou est-ce que les gens autour de moi ne font pas l’effort de voir au-delà de leurs biais superficiels?
En tant qu’employeur.e, en tant que dirigeant.e, en tant que collègue, comment peut-on soutenir une personne qui désire faire sa transition dans sa vie professionnelle?
Et comment s’assurer que ce soutien perdure au-delà des premières semaines? Comment peut-on faire en sorte que la porte du placard métaphorique reste bien ouverte, une bonne fois pour toutes?
Prénom et pronoms
Bien souvent, le “coming out” d’une personne trans se fait par un changement de pronoms et/ou de prénoms. C’est assez crucial en milieu de travail, puisque ces changements affectent énormément d’interactions tant sociales que professionnelles entre collègues, avec les client.e.s et autres collaborateurs. C’est souvent une des étapes les plus difficiles, surtout lorsqu’une personne transitionne dans un milieu au sein duquel elle travaille depuis longtemps.
C’est une question d’habitude et de pratique. Comme pour tout ré-apprentissage, il faut se laisser le temps d’assimiler les nouvelles informations qu’on met en pratique.
Un bon truc : lorsque vous êtes avec un.e autre collègue, essayez de parler de votre collègue trans à la troisième personne en faisant un effort conscient pour utiliser ses nouveaux noms et pronoms. Par exemple, vous pourriez discuter de son rôle sur un projet ou de son implication dans une activité sociale.. (“Savais-tu que Claude fait du ski nautique?” “Oui, iel est assez téméraire, iel a aussi sauté en parachute l’été dernier!”)
Inévitablement, vous allez faire des erreurs. Même moi, il m’arrive de mégenrer des gens que je connais (et parfois même moi-même)! Le mieux, lorsqu’on réalise l’erreur, c’est de s’excuser, de se corriger – et de passer à autre chose. Pas besoin de se répandre en excuses et de mettre l’emphase sur l’erreur; en fait, en réagissant ainsi, on vient plutôt centrer ses propres sentiments au détriment de ceux de la personne qu’on a mégenrée. On place cette dernière dans la position de devoir rassurer tout le monde que ce n’est pas grave, que l’erreur est humaine.
Il faut également réaliser que même si ça part d’une bonne intention, reprendre quelqu’un.e devant plusieurs personnes peut créer une situation difficile et inconfortable pour la personne mégenrée, et par inadvertance, la mettre au centre de l’incident. Certaines personnes apprécieront le fait qu’elles ne sont pas les seules à faire le travail de faire respecter leurs noms et pronoms. D’autres pourraient préférer se faire mégenrer que d’interrompre une conversation ou de détourner l’attention, même brièvement.
Le mieux, c’est tout simplement de vérifier avec votre collègue : est-ce qu’iel est confortable si vous reprenez quelqu’un.e qui les mégenre publiquement? Ou est-ce qu’iel préfère que ce soit fait après ou en privé?
Quoi ne pas dire, quoi ne pas faire
Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer pourquoi une personne choisit de transitionner sur un aspect et pas un autre. C’est propre à chaque individu et c’est un processus qui est profondément personnel. Ce n’est pas tout le monde qui est prêt à répondre à des questions sur les raisons qui les motivent à transitionner. Certaines questions, d’ailleurs, devraient toujours être évitées!
En fait, c’est assez simple : ne posez pas une question que vous n’aimeriez pas qu’on vous pose, surtout, au travail.
Par exemple, aimeriez-vous qu’un.e collègue commente votre apparence physique? Comment réagiriez-vous si un.e collègue vous suggérait de porter des vêtements différents ou de vous maquiller différemment, sans que vous ayez sollicité leur opinion?
Comment vous sentiriez-vous si un.e collègue ou un.e patron.ne (ou qui que ce soit) vous posaient des questions sur vos organes génitaux ou votre poitrine?
Ce sont évidemment, des questions très invasives, qui n'ont leur place nulle part, mais certainement pas en milieu professionnel.
Et une autre question qu’il est toujours bon de se poser : pourquoi est-ce que je pose la question? Par curiosité? Par incompréhension? En cas de doute, avant de poser une question personnelle, mieux vaut faire une recherche sur Google. Il existe énormément de ressources très détaillées qui couvrent tous ces sujets.
Changer les choses, une signature de courriel à la fois
Il y a évidemment des gestes et actions concrètes qu’on peut poser, en tant que gestionnaire, pour faciliter l’intégration d’une personne trans, qu’il s’agisse d’un.e employé.e de longue date ou d’une nouvelle recrue.
Quelques exemples :
Encourager tout le monde à indiquer ses pronoms dans sa signature de courriel : si toutes les personnes cisgenres normalisent l’utilisation des pronoms, c’est plus facile pour les personnes trans et non binaires de le faire sans se sentir ostracisées.
Réviser les politiques et pratiques de l’entreprise : sont-elles à jour? Est-ce qu’elles incluent une section sur la discrimination basée sur l’identité de genre qui tient en compte de la pluralité des genres? Est-ce que le langage utilisé est inclusif?
Offrir des formations et ateliers : il existe plusieurs organismes ayant une expertise en la matière et habitués à faire ce type de présentation en milieu professionnel. Ça permet entre autres de créer un espace bienveillant au sein duquel tout le monde peut poser des questions de tous types, sans jugement ou peur d’offenser.
Prévoir une trousse contenant des ressources pour la direction et collègues : mettre en place un guide avec des définitions et explications sur les différentes identités de genres, leurs différences par rapport aux orientations sexuelles, des exemples concrets pour les pronoms, des informations sur les meilleures pratiques et manières de gérer ces changements.
Mettre en place un système de soutien avec le département des ressources humaines : pour résoudre les potentiels conflits et offrir une médiation entre collègues et dirigeant.e.s.
Mettre à jour les informations nécessaires dès que possible : faire une "liste-maîtresse'' de tous les endroits affectés par un changement de nom d’une personne au sein du bureau (par exemple, adresse courriel, nom inscrit au registre téléphonique, cartes d’affaires, etc.)
Écouter les demandes et besoins des employé.e.s et faire en sorte qu’ils soient respectés.
Conscientiser les consultants externes et clients : demander à l’employé s’iel voudrait avoir du soutien de la direction pour faciliter la transition.
En tant que gestionnaire, il est parfois difficile de savoir par où commencer. Malheureusement, ce ne sont pas tous les milieux professionnels qui sont aussi ouverts d’esprit et accueillants; c’est pourquoi il est important d’y aller progressivement et de protéger, d’abord et avant tout, l’intégrité physique et psychologique de vos employé.e.s trans. Au fond, c’est ça le plus important.
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